jeudi 29 septembre 2022

Affaire seznec : Deux lettres du bagne

 Affaire seznec : Deux lettres du bagne en provenance des archives nationales

 


Deux lettres inédites de Guillaume Seznec.

Lettre du 18 mai 1932


Des Iles du Salut :

 


"Aux Iles du Salut, le 18 mai 1932.

Mes très chers enfants,

J'ai reçu par le courrier d'Avril, la lettre de Jeanne et d'Albert, leur contenu m'ont fait bien plaisir, surtout de vous savoir bien portant et qu'il y a des braves gens qui daignent s'occuper de vous.

Parlez-moi donc de cet Anglais qu'Albert devait avoir rendez-vous quelques jours après m'avoir écrit ?

Que Guillaume me cause également de son voyage à Gingant ?

J'ai aussi reçu deux cartes et un colis de Monsieur Hervé avec un jour de retard parce qu'il me les a adressées à Saint Laurent alors que je suis aux Iles depuis un mois.

Si je vous avais dit de continuer à adresser ma correspondance aux Iles du Salut, c'est parce que je savais n'être que de passage à Saint Laurent.

Je me demande pourquoi M. Huzo reste hostile à M. Hervé car il ne doit pas ignorer que c'est moi qui doit en supporter les conséquences en étendant sa jalousie de ce côté là. Il doit cependant savoir que moi je ne lui suis pas moins gré d'être dévoué pour moi, il ne doit pas en vouloir à M. Hervé d'avoir découvert la vérité, après son mérite ne peut qu'être plus grand, je l'avais fait avec tant de peine et sans aucun intérêt.

C'est ce que nous pouvons graver dans nos mémoires, mes chers enfants que des hommes de cœur tels que M. Hervé et M. Delahaye sont plus que rares et je vous prie devant votre vie de leur garder la plus grande reconnaissance même s'ils ne réussissent pas au but qu'ils ont manifesté.

Votre grand-mère, ni votre tante, ni votre cousine ne m'ont écrit au dernier courrier. J'ai espéré cependant qu'elles ne sont pas malades et cependant (?) l'une et l'autre m'écrivaient dans les courriers. Cette présente lettre je l'adresse toujours à Albert que je prie de transmettre à frère et sœur.



Seconde lettre datée du 14 juillet 1931 :


"Aux Iles du Salut, 14 juillet 1931.

Ma très très et chère enfant,

En réponse à ta petite lettre si pressante, je te prie de m'excuser de ne t'avoir répondu plus tôt. Ma situation ne me permet pas de répondre au courrier même qui m'envoie ta lettre.

Je ne puis répondre qu'au courrier suivant chaque fois un mois plus tard et crois-le si je ne t'écrivais pas pendant que tu étais en place, ce n'est pas que je t'avais oubliée, c'est de peur de te compromettre pour tes activités car je suis auprès de toi nuit et jour...

Permets-moi ma chère petite Jeannette à l'occasion de cette triste et dure épreuve de te présenter l'expression de mes sentiments attristés et de l'encouragement  à vivre, à lutter  et surtout de ne pas désespérer de ce maître qui tient dans sa main le sort de Chacun et tout l'univers entier.

Cependant je n'aurais jamais pu penser que celle que rien ne rebutait, n'arrêtait dans la défense de ma juste cause devait hélas être emportée dans la tombe !!!

Mais hélas ! Dieu a trouvé bon de l'appeler à lui le 16 mai jour et heure, de mémoire, le jour de l'Ascension à 3 heures de l'après-midi… qui… pourtant avant, elle nous recommande encore tous à ce bon M. Huzo.

Tes … de ta lettre j'ai … plusieurs petits …. et des … et des … et … mère, que je ne sais trop comment les remercier d'avoir pris tant part à notre grande douleur.

Crois-moi ma chère fille, pour ton affaire, tu pourras les remercier pour moi, non seulement pour les condoléances et les sentiments d'encouragement qu'elles m'adressent mais aussi pour le dévouement et les soins qu'elles te procurent.

Ma chère petite Jeannette, quant à mon besoin financier, il veut le même acte d'amour pour finir… Seule ton affection me suffit ne m'envoie rien d'autre, ni argent, ni colis, même ce dernier je ne le sais si on me remettrait. Je te remercie de toutes tes bonnes intentions, aussi bien que ceux qui devraient t'épauler. Ton état de santé m'a beaucoup peiné, mais il faut croire qu'avec les soins de cette bienveillante fraternité et ton courage, Dieu accordera encore un jour que tu sois la Bénédiction de ton vieux père.

… plusieurs photos, entre autres de toi, Guillaume et notre chère petite Marie...que tu as dû décoller de son passeport quand elle a fait son dernier voyage, je te la retournerai. J'ai aimé relire plusieurs images et objets de piété qui m'ont fait bien plaisir. Seule la vue du monastère, de la cellule où a vécu ma chère petite Marie m'a déchiré le coeur.

J'ai reçu de France, d'un ancien juge d'instruction de Guingant, Mr Hervé, cinq cartes postales et des doux souvenirs, les cierges de Sainte Marie du Menez Hom et la vue générale de Plomodiern, les autres sont toutes des premiers jours de juin, les paroles sont des plus touchantes et consolantes. Je te copie ces mots pour te faire une idée du dévouement de cet homme.

1° La Justice immanente, celle de Dieu, vient toujours mettre fin aux erreurs des hommes.
 
Priez encore, priez toujours.
 
Le Ciel vous viendra en aide (Hervé)
 
2° La Vierge du Menez-Hom veille sur les Bretons.
 
Je la prie d'abréger vos souffrances et de hâter votre délivrance. Elle vous sauvera, soyez en très sûr, Votre tout dévoué (Hervé)
 
3° La vérité sur le drame qui vous aura xxx un xxx xxx va surgir tout entière et je n'aurai de repos tant que vous ne serez pas réhabilité (Hervé)
 
4° Je vous envoie l'assurance de mon affection xxx (Hervé)
 
5° Courage et confiance, la délivrance est proche (Hervé)
 
Courage donc, ma chère enfant, peut-être que plus tard, nous vivrons sous une meilleure étoile.

Ton père qui t'envoie ses plus affectueux baisers.

P.S. J'ai reçu aussi une lettre de ta grand-mère, de ta tante et de Marie Gadal. Elles me disent être en bonne santé.

Seznec

49302.



 



"Recouverte par une photographie de Guillaume Seznec au bagne, une lettre écrite sous le nom de Joseph Seznec, matricule 49302, aux Iles du Diables le 14 juillet 1932. Elle commence par ces mots  : «  Mes très chers Enfants  ». En bas, la fin d'une lettre  : «  J'ai oublié de te dire que je me porte toujours comme le climat du pays le permet et que depuis 4 mois que nous sommes arrivé[s] il y a parait-il sur les 900 du convoi plus de 250 décédés, ce [qui] vient te confirmer, le mauvai[s] climat de cette colonie et enco[re,] la moitié de ceux qui ne sont pas mort[s] ne sont plus que d[es] loques humaines.  »"

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