jeudi 22 septembre 2022

Pourquoi Seznec n'a-t-il pas été réhabilité selon Eolas

Pourquoi Seznec n'a-t-il pas été réhabilité par Me Eolas 

"Le fait nouveau concerne l'affaire de Cadillac vers la Russie des soviets. Cette affaire a été décrite avec précision et avec de nombreux détails par Pierre Quéméneur et Guillaume Seznec ainsi que d'autres témoins. La justice n'a fait aucune vérification car elle a décidé arbitrairement que cette affaire n'était pas possible donc il s'agissait d'une création de l'imagination de Guillaume Seznec."


"Jean Pouliquen qui a interrogé Seznec le 10 juin 1923 rapporte ses propos :

 » Il me fit savoir que mon beau-frère et lui étaient allés à Paris pour traiter un marché d’automobile Cadillac; que le gouvernement américain, voulant faire rentrer toutes les voitures de cette marque DANS LE BUT DE RAVITAILLER LES SOVIETS, avait chargé un de ses agents à Paris de s’occuper de cette affaire. « "

 

Pourquoi Seznec n'a-t-il pas été réhabilité ?

Les arguments développés en faveur de la révision et la réplique de la cour

1. La remise en cause des témoins d'Houdan.

L'instruction ayant révélé que Seznec et Quéméneur étaient à Houdan, Seznec changera de récit et dira s'être trompé et que c'est à Houdan et non à Dreux qu'il a laissé Quéméneur, vers 21 heures, après avoir soupé au restaurant « Le Plat d'Etain », à temps pour le dernier train pour Paris et qu'il l'a laissé, vivant, devant le café de la gare. Cela ne correspond pas au récit des témoins d'Houdan, qui précise qu'ils sont arrivés vers 21 heures, ont acheté une lanterne pour l'arrière de la voiture, ont soupé au Plat D'Etain, et ont demandé la route de Paris avant de se remettre en route tous les deux.

A l'appui de la version Seznec, les demandeurs soulignent que le témoignage de Jean Gérard, entendu six fois, donne bien 20 heures comme arrivée de Seznec à Houdan. Ils cherchent ensuite à écarter les déclarations des autres témoins, qui attestaient que Seznec et Quéméneur étaient arrivées bien plus tard, trop tard pour le train, ont dîné sur place et sont repartis ensemble.

La cour réplique à cela que Jean Gérard s'appelle en fait Paul Jeangirard et n'a été entendu en fait que trois fois, sous entendant que si les demandeurs veulent donner toute foi à ces témoignages, qu'ils commencent par bien les lire (ça fait mal, ces allusions...) ; qu'au-delà de l'heure qu'il indique, il y a des éléments concrets qui permettent de penser que ce qu'il a vu a eu lieu plus tard : ainsi, il a dit qu'il avait fini de souper, or il a déclaré qu'il soupait à vingt heures ; qu'au moment de l'arrivée de Seznec et Quéméneur, il avait dû allumer la lumière en raison de la pénombre, et que quand il leur a suggéré d'aller dîner Plat d'Etain, son épouse a fait remarquer qu'à cette heure là, il n'était pas sûr qu'ils fussent servis ; que les employés du restaurant ont tous témoigné que les deux hommes avaient dîné sur place et que lors de leur arrivée, les chaises étaient déjà renversées sur les tables comme à la fin de chaque service.

Les demandeurs ont également soulevé que le passage à l'heure d'été ayant suivi les faits pouvait expliquer que les témoins se trompassent. La cour écarte ce fait comme n'étant pas nouveau, puisqu'un supplément d'information a été ordonné dès 1923 sur ce point.

Ils soulèvent également que Quémeneur aurait passé un coup de fil depuis le Plat d'Etain, ce qui suppose qu'il y fut avant 21 heures, heure à laquelle le service téléphonique était interrompu. La cour l'écarte en relevant que cet élément n'est apparu qu'en 1930 des déclarations d'un « homme de lettre », Charles Huzo, et que ni les témoins ni Seznec n'avaient jamais parlé d'un coup de fil que Quéméneur. Cette affirmation n'est pas étayée.

Ils contestent également que les horaires des trains mentionnés sur le registre des cheminots à la date du 25 mai soient les bons, car ce registre mentionne à cette date une gelée nocturne alors que la station de Trappes avait relevé cette nuit là une température de 4,3°c. La cour leur répond que Trappes est à plus de trente kilomètres d'Houdan, que Seznec lui même a à neuf reprises maintenu que le 25 mai, il était à Houdan, a acheté une lanterne et laissé Quéméneur. J'ajoute qu'il est précisé plus haut dans l'arrêt que deux des témoins ayant vu arriver les voyageurs à 21 heures étaient dans leur jardin, en train de protéger leur plante de crainte d'une nouvelle gelée nocturne.

Les demandeurs soulèvent que les témoins ayant assisté au départ ne relatent pas un léger choc de la voiture de Seznec avec une barrière, dont Seznec avait fait état, prouvant qu'ils ont pas assisté au départ de la voiture. La cour leur répond de relire avec profit le témoignage de Maurice Garnier, employé du chemin de fer, qui le relate avec précision.

Le ministère public y va de son grain de sel et soulève pour sa part qu'il n'y avait pas de café sur la place de la gare à Houdan, tandis qu'il y en avait bien un à Dreux, et donc, que les deux voyageurs n'ont pu se séparer à Houdan, ce qui serait un fait nouveau. La cour lui rétorque qu'un ingénieur des travaux publics de l'Etat a dressé un plan de la place de la gare à Houdan où est mentionné un café de la gare, et qu'à côté y figure une croix tracée de la main de Seznec quand le juge d'instruction lui a demandé de désigner l'endroit où il aurait laissé Quéméneur.

Exit donc la contestation des témoins d'Houdan.

2. Le témoignage de Pierre Dectot.

Un témoin, Pierre Dectot, circulant à vélo, aurait vu Seznec seul à 23 heures, ce 25 mai, en panne d'essence et lui aurait proposé de l'aide, ce qui, d'une suppose que le crime aurait eu lieu entre 22h10 (départ d'Houdan) et 23 heures, et que Seznec aurait fait disparaître le corps, qui n'a jamais été retrouvé, ce qui serait assurément trop court et de deux invalide le témoignage de l'automobiliste qui l'a vu à la Queue Lez Yvelines le lendemain à 5h30.

Mais la cour relève que rien ne démontre plus aujourd'hui qu'en 1923 que c'est bien Seznec qu'il a vu. Seznec lui même a toujours déclaré n'avoir aucun souvenir qu'un cycliste lui aurait proposé de l'aide ; de plus le témoin précisait avoir été ébloui par les phares alors qu'il résulte des témoins d'Houdan et des déclarations de Seznec lui même qu'une seule lanterne fonctionnait, et mal, faute d'ampoule de rechange.

Dès lors, le témoignage de Pierre Dectot est écarté par la cour comme il le fut par la cour d'assises de Quimper en 1923.

3. la machination policière.

C'est là le point principal de l'argumentation, qui repose sur l'argument suivant : la surabondance même de preuves accusant Seznec prouve qu'il y a eu machination.

On notera donc qu'en suivant ce raisonnement, seuls sont assurément coupables ceux dont rien ne prouve la culpabilité...

Voici la machination selon les demandeurs : Un dénommé Boudjema Gherdi a été identifié par Seznec dès 1926, grâce à des récits recueillis en détention à Saint Martin de Ré, comme étant le fameux Chardy. Colette Noll, résistante déportée, a identifié, tardivement il est vrai, Gherdi comme étant un traître l'ayant livrée à la police allemande, où travaillait Pierre Bonny, révoqué de la police en 1935, désigné par les requérants comme « l'agent essentiel de l'enquête » et l'auteur de la machination. Pierre Bonny sera d'ailleurs fusillé en 1944 pour collaboration. Bonny et Gherdi pouvaient donc être complices, Gherdi assassinant Quéméneur, et Bonny faisant porter le chapeau rond à Seznec, le tout étant lié à l'affaire que voulait traiter Quéméneur, qui était en fait un trafic de Cadillac très lucratif mais illégal vers l'Union soviétique, piste délaissée par les enquêteurs.

La cour réplique à cela que Bonny n'était pas « l'agent essentiel », mais policier stagiaire et secrétaire du commissaire Vidal, en charge de l'enquête ; que sur 500 pièces, son nom n'apparaît que sur quatre procès verbaux, établis soit par Vidal, soit par Doucet, un autre commissaire, et signés par eux, et sur cinq rapports.

De plus, Quéméneur avait déjà fait des affaires avec les Cadillacs, mais l'avait toujours fait au grand jour. Il avait de même fait état de ses projets à ses proches, au maire de Landerneau, et à son banquier.

La piste des affaires louches est affaiblie par le fait que les enveloppes utilisées à l'époque par la chambre de commerce américaine de Paris ne correspondaient pas à celles décrites pas Seznec. Enfin, aucune preuve n'existe de l'implication de Quéméneur, Gherdi ou Bonny dans un tel trafic, des investigations ayant déjà été menées dans les archives ministérielles, par la cour de révision précédemment saisie. Rien n'établit que Gherdi ait collaboré sous l'occupation, et en faire le correspondant parisien de Quéméneur dans cette affaire de trafic, alors qu'il ne savait ni lire ni écrire et que son affaire de pièces détachées avait cessé en 1922 quand le dépôt de voitures américaines du Champ-De-Mars a été démantelé ne repose sur aucun élément.

Enfin, la machination policière suppose que Bonny se soit rendu au Havre dès le 13 juin pour expédier le télégramme signé Quéméneur, soit à une date où aucune enquête de police n'est encore menée.

La cour se lance ensuite dans un méthodique démontage des témoignages invoqués qui sont tous soit indirects, soit circonspects. Deux exemples illustrent bien cet aspect.

Jemma Martin, entendue en mars 2002 sur commission rogatoire, a déclaré qu'à l'époque de son apprentissage à l'hospice de Quintin, qu'elle situait en 1954, une religieuse lui avait déclaré tenir de la mère Borromée, supérieure de la communauté, décédée depuis lors, que celle-ci avait rencontré Seznec, le 13 juin 1923, dans une gare dont le nom n'avait pas été précisé mais qui, pensait Jemma Martin, ne pouvait être que celle de Saint-Brieuc. Ce témoignage ne fait que rapporter des dires d'une personne les tenant d'une précédente et comporte un élément subjectif sur un point essentiel : la gare ne pourrait être que celle de Saint-Brieuc.

En 1993, Louise Héranval, vendeuse à la boutique où la machine à écrire a été achetée, a affirmé devant des journalistes qu'elle n'avait pu formellement reconnaître Seznec, qui ne lui avait été présentée que dans un couloir très sombre. Mais 38 ans plus tôt, elle avait soutenu le contraire, et la procédure révèle qu'elle a été confrontée à Seznec dans le bureau du juge d'instruction et aux assises de Morlaix, où elle l'a reconnu à chaque fois. Elle a été entendu par les magistrats de la cour de révision saisie en 1993 mais a déclaré n'avoir plus aucun souvenir, et pour cause : elle fut diagnostiquée d'un Alzheimer qui évoluait depuis... 1991.

Je ne reprendrai pas la litanie des témoignages écartés, mais si vous voulez lire l'arrêt, cherchez le paragraphe « - concernant les témoignages tendant à établir l'existence d'une machination policière : ».

Derniers points soulevés par les demandeurs, la contestation des expertises dactylographique et graphologiques, cette dernière ayant attribué à Seznec les mentions manuscrites sur les promesses de vente. La cour balaye les conclusions des deux experts invoqués par la défense, non pas en rappelant, si ce n'est incidemment, que cinq experts internationaux ont déjà conclu sur ce point, mais en rappelant que la question de savoir qui a écrit ces mentions n'est pas si importante, dès lors que Seznec reconnaît être le signataire, et que son caractère mensonger ne fait aucun doute. En effet, relève la cour, il est plus que douteux que Seznec ait jamais eu 4040 dollars or, lui qui avait emprunté 15 000 francs à Quéméneur fin 1922, gagé par sa Cadillac, et 5030 francs à sa domestique. Aux enquêteurs qui lui ont demandé combien pesaient ces pièces, il a répondu 500 grammes, alors que leur poids était de 6,744 kg : il a décrit la boite qu'il avait fabriqué lui même pour les contenir : reconstruite, elle ne pouvait contenir que 133 pièces de 10 dollars, quand la somme était prétendument de 99 pièces de 20 et 206 de 10. Comment donc aurait-il payé la première part du prix de vente ?

Ces promesses de vente ont été rédigées sur du papier timbré vendu par le buraliste de Morlaix. Une feuille identique a été trouvée chez Seznec. Or l'acte a été rédigé fortuitement à Brest, et Quéméneur vivait à Landerneau. Comment pouvait-il avoir sur lui deux feuilles vendues exclusivement à Morlaix ?

Reste l'expertise sur la machine à écrire, la Royal-10.

Un expert de la défense conclut que la même machine a bien fait les deux exemplaires, mais que l'exemplaire remis par Seznec présente des similitudes de doigté avec des fac-similés tapés le 6 juillet lors de la découverte de la machine par le commissaire Cunat, de la 13ème brigade mobile de Rennes, qui a entendu Seznec le 26 juin. Il serait l'auteur de l'un des faux, selon l'expert.

La machination policière ! La revoilà, mais la cour finit d'achever cette théorie en en démontrant l'absurdité : elle suppose donc que dès le 13 juin date de l'achat de la machine au Havre, alors qu'aucune enquête n'a été ouverte sur la disparition de Quéméneur qui n'est pas encore certaine, la machination policière était déjà en place : que les policiers conjurés aient provoqué les faux témoignages du vendeur de la machine et de ses trois employés, et aient envoyé le télégramme signé Quéméneur à 16h35 pour conforter leur faux témoignage, ce à une date où les policiers ignoraient l'existence d'une promesse de vente dactylographiée, forme rare à l'époque, promesse qui ne leur sera révélée que 13 jours plus tard à Paris. Une fois qu'ils auraient découvert qu'il y avait une promesse de vente, ils en auraient donc confectionné deux fausses, dont une par Cunat à Rennes, exemplaire qui aurait été authentifié en connaissance de cause par Vidal à Paris, ce qui suppose une collaboration au plus haut niveau de ces deux services : on est loin de la conspiration du secrétaire stagiaire Bonny. Plus extraordinaire encore, il eût fallu que les policiers suggérassent à leurs faux témoins le nom de Ferbour comme nom d'emprunt utilisé par Seznec au Havre, nom qui le 13 juillet s'avéra être celui d'un ami de Seznec, voyageur de commerce, dont les policiers ne pouvaient avoir entendu parler et qui à sa connaissance était le seul à porter ce nom là dans tout l'ouest de la France.

Ceci n'est qu'un pâle résumé de l'arrêt, qui est un travail extraordinaire de méticulosité et de démontage des témoignages invoqués par les demandeurs à la révision. Je vous encourage à le lire, surtout si des questions vous viennent à la lecture de ce billet : vous y trouverez probablement les réponses.

Et encore une fois, gardez bien à l'esprit que la cour de révision ne refaisait pas le procès de Seznec, mais cherchait à évaluer si des éléments inconnus du jury en 1924 et révélés postérieurement sont de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité.


 

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